Je me souviens parfaitement de ma première rencontre avec Jacques Le Dauphin. Une certaine forme de fébrilité quant à l’idée de rencontrer l’un de mes héros/hérault dans mon panégyrique des audiophiles.
Pour ceux qui ne connaissent pas Jacques : faites une simple recherche avec son nom et vous tomberez sur quelques unes de ses créations, innovations (au choix ? les fameux pavillons éponymes, mais aussi des systèmes multicanaux passifs puis actifs, des amplis, des préamplis, etc, etc…). Contributeur régulier de la mythique revue des années 80 La Revue de l’audiophile , son système principal a aussi été encensé par de nombreux compte-rendus dont certains sous la plume Jean Hiraga himself…
Mais… (il y a toujours un mais), lors de ma première visite en février 2013, le gros système ne fonctionnait plus depuis quelques années déjà. On aurait pu s’y attendre: un système six voies actives c’est un soucis du détail permanent et la foultitude des réglages possibles aurait pu amener le grand ordinateur dans une abîme de perplexité. Dans les faits : il n’en n’est rien. Jacques est quelqu’un de méticuleux et surtout soucieux des détails, conditions pré-requises et nécessaires à la mise en oeuvre d’un tel système.
Ici c’est surtout le tube Western Electric 437A, composant au coeur même de presque toutes les électroniques utilisées, qui a fait défaut. Jacques s’est rendu compte, en mesurant ses tubes avec un analyseur Metrix LX109A, d’un problème de vide dans l’enveloppe en verre des tubes. Dans les faits, Jacques pense plutôt qu’il s’agit d’un phénomène de pollution de la cathode induit par la période de stockage longue de ces tubes (plus de quarante ans). Malheureusement, ces tubes étant de petite dimension, le seul chauffage du filament n’est pas suffisant pour remédier à ce problème*. Ce problème en apparence bénin a donc pousser mon hôte à trouver un remplacement à ces tubes mythiques (et rares). En l’occurence il s’est agit des E55L Mullard / Philip / RTC.
Pour tester ce nouveau tube : il s’est imposé comme une évidence qu’il fallait un nouveau haut-parleur pour pouvoir apprécier ses qualités et ses défauts. Les contraintes étaient les suivantes : un rendement efficace, une absence de filtre et une excellente qualité de restitution. Le mythique haut-parleur large bande Western Electric 755A c’est tout de suite imposé comme le candidat idéal. Pour exploiter au mieux celui-ci, Jacques a développé une caisse bass-reflex parfaitement asymétrique. L’évent est situé sous l’enceinte et vous noterez aussi la présence d’un court évent exponentiel. Celui-ci a été calculé et dessiné afin de palier à des accidents de réponse en fréquence dans le bas medium
Dans la lignée de ses précédents amplificateurs de puissance à base de 437A, la nouvelle itération en E55L sont ce que les anglos saxons appellent des SPUD amp, autrement dit un amplificateur qui met en lumière le seul tube de puissance. Pour ce faire on utilise aucun autre tube dans le parcours du du signal (pas de driver, pas de splitter, etc…). Ici la puissance est aussi revue légèrement à la baisse puisque l’on passe de 0.8W (avec les 437A) à 0.6W (avec les E55L).
Entre temps… le gros système avait été remisé au profit d’une solution beaucoup moins encombrante, bien plus simpliste. Jacques a réalisé une enceinte bass-reflex autour du mythique large bande Western Electric 755A. Le cahier des charges de cette nouvelle enceinte repose entre autre sur un non parallélisme de ses différentes faces. La caisse est réalisée dans un épais contreplaqué de marine et l’évent est situé sous l’enceinte qui repose sur des pieds Atacama. Autour du haut-parleur, on distingue une amorce de pavillon exponentiel circulaire pensé pour résorber un accident dans la réponse en fréquence du bas medium.
Ce nouveau projet était aussi un parfait prétexte pour mettre au point les amplis du gros (ou plutôt devrai-je dire énorme) système. Jacques est un utilisateur, créateur de SPUD amp (ampli simple étage) depuis plus de 25 ans maintenant. Ces amplis sont conçus pour ne travailler qu’avec un seul tube dans la ligne du signal. Pas de driver, pas de déphaseurs… seulement un seul tube soigneusement choisir pour ses qualités hors normes. Comme dit précédemment, les premières itérations de ces amplis utilisaient les tubes Western Electric 437A et permettaient d’atteindre la puissance nominale (et confortable) de 0.8W. Dans les faits : ce sont huit de ces amplis qui alimentaient les douze voies du système principal dont il sera question ultérieurement.
En remplacement des WE 437A défectueuse, Jacques a choisi de mettre au point un nouveau SPUD amp autour des E55L. Comme dans tous ses montages, l’auteur préconise une utilisation raisonnable des composants. Dans ce cas précis les E55L n’ont que 125V sur leurs plaques et produisent seulement 0.6W. Le tube est aussi utilisé en mode pseudo triode avec un bias fix. Un transformateur Lundhal 7902 (600 ohm / 10 ohm), transformateur qui augment le signal ration par 1:4, drive l’E55L qui ensuite transite via un transformateur de sortie Tamura F-5002 à noyau amorphe.
Le chauffage de filament se fait par le bias d’une alimentation régulée à deux étages, la haute tension est quant à elle et stabilisé, l’alimentation générale possède un bias fixe (sur le point et le secondaire du transformateur d’entrée) et est régulée en deux étages isolé par un condensateur de 3 Farad (!!!!!!).
The heater filament power supply is two stages regulated, high tension power supply stabilized and fixed bias power supply (used on the cold spot/point of the secondary windings of the input transformer) is a two stages regulated split with a three Farad capacitor (!!!)…
Est-ce suffisant pour alimenter les Western Electric 755A?
L’écoute commence avec la platine vinyle Brinkmann Balance (avec une alimentation très fortement modifiée) et son bras Ikeda IT-407, son porte-cellule Ikeda RS-1 et bien sûr une cellule Ikeda REX 9. La partie phono repose sur un transfo Micro Seiki et le légendaire étage phono Counterpoint SA-9 lui aussi tweaké.
Premier disque ? Barbara chante Barbara. Quelques notes et puis Barbara se met à chanter. La scène sonore est impressionnante. Parfaitement stable comme ciselée au laser. Barbara est littéralement un peu en arrière du plan des enceintes. J’en ai immédiatement des frissons. La surprise en a été tellement grande que je crois même avoir oublié de respirer quelques instants. C’est clairement un des meilleurs rendus de voix féminine qu’il m’a été donné d’entendre. Nous sommes ensuite passé à un album d’Areski avec Brigitte Fontaine sur le label Saravah, enregistrement qui fourmille de détails rendus ici avec une précision chirurgicale et encore une fois cette étagement sonore affolant de réalisme.
Restait à savoir si les 0,6W des amplis étaient suffisants pour contrôler dans tous les registres les Western Electric 755A. Autant répondre tout de suite (et en bon normand) : oui et non. Ces haut-parleurs n’ont clairement pas été crée pour jouer à des niveaux élevés ni pour restituer les plus basses fréquences (il n’y a plus grand chose en dessous de 60Hz) tout comme les extrêmes aigus. Curieusement aussi les WE 755A font partie de ces larges bandes qui ne sonnent pas uniquement medium non plus (voir nasillards pour les plus mauvais d’entre eux). La caisse favorise un rendu homogène grâce à l’apport indéniable du départ de pavillon qui renforce le bas medium et donc renforce la présence des registres du haut grave.
Après tout : gardons en tête que… nous écoutons une paire d’antiques haut-parleurs large bande 8″ des années cinquante. Il n’en reste pas moins que c’est une expérience d’écoute unique qui… possède clairement des ressemblances avec les 15A, 16A, 121 ou encore les 22A toujours de chez Western Electric mais d’un période encore plus ancienne. Et pourtant le 755A n’a pas été conçu pour sonoriser les salles de cinéma mais seulement les rames du métro new-yorkais ou bien encore des petites salles de contrôles d’enregistrements. La similarité la plus frappante c’est tout simplement que ces haut-parleurs sont faits pour fonctionner dans leur plus simple appareil (pas de filtre en amont du signal) pour couvrir une bande passante suffisante. D’une certaine manière on pourrait dire que les 755A ont la capacité/possibilité de délivrer un message sonore provenant directement de l’amplificateur et dans le cas présent l’utilisation d’un SPUD amp prend tout son sens puisqu’il permet de prendre la pleine mesure des qualités de ces transducteurs.
Pour certains cette approche serait ce qui permet d’atteindre au plus près la musique. Pour ma part, l’écoute de ce système est le reflet des préoccupations audiophiles de Jacques Ledauphin. C’est à la fois une quête d’ataraxie, mais aussi un posture Zen qui, malgré une débauche de moyens techniques et matériels, place bien la musique dans ses plus beaux atours pour mieux faire oublier les aspects extrêmement complexe qui régissent un système multi-amplifié à six voies. Système que je vous décrirai dans une deuxième partie !
* en chauffant de manière vigoureuse le tube : on peut remédier au moins partiellement à ce genre de problème.
Vivement la partie 2 du reportage chez Jacques Le Dauphin !